07/08/2025 journal-neo.su  8min #286625

 Après le sommet des Brics à Rio : quelles perspectives d'avenir pour le bloc dans un monde dominé par la majorité globale ? (Partie 1)

Après le Sommet du Brics à Rio : Positionnements géopolitiques et trajectoires à venir. Partie 3

 Ricardo Martins,

Dans cette troisième partie, je livre les visions d'experts sur le rôle du BRICS en tant qu'acteur géopolitique et sur l'avenir du bloc. Selon un expert russe, le BRICS pourrait devenir l'un des mécanismes les plus efficaces dont dispose le Sud global pour faire entendre sa voix dans les futurs débats sur le nouvel ordre mondial - à condition d'affirmer son institutionnalisation.

Autonomie stratégique versus politique d'alliance

La question centrale pour les membres du BRICS consiste à équilibrer autonomie stratégique et engagements d'alliance potentiels. Pour l'expert indien Musharraf Khan, « New Delhi reste dans le BRICS pour deux raisons : la stratégie et la survie. Le groupe permet un dialogue structuré avec la Chine, mais ne résout pas le profond défi de méfiance géopolitique ».

L'approche de l'Inde incarne une stratégie sophistiquée de « hedging ». Malgré un virage post-Galwan marqué par un équilibre hard balancing et une participation à des forums minilatéraux comme Quad ou I2U2, l'Inde maintient son engagement dans le BRICS. Khan explique que cela permet de « préserver de l'espace pour résister, influencer l'agenda et refuser toute capture idéologique », tout en évitant que la Chine impose ses récits.

Du côté pakistanais, l'analyste stratégique Naik Wazir voit le BRICS comme « une version moderne du Mouvement des non-alignés », où les membres valorisent la souveraineté nationale et la coopération multilatérale. Le bloc attire donc non par des alliances rigides, mais comme plateforme flexible pour avancer les intérêts nationaux.

Multipolarité ou bipolarité : un choix critique

La question la plus déterminante pour l'ordre mondial est celle de savoir si le BRICS contribue à une multipolarité authentique ou évolue vers un pôle rival, similaire aux divisions de la guerre froide. Un analyste marocain souligne l'impératif de « clarté stratégique » autour de la position de l'Inde en tant que future présidence du BRICS : soit elle demeure un vassal important de l'Occident, soit elle construit une indépendance réelle au sein du BRICS, dépassant sa méfiance envers la Chine et la Russie. Sans ce choix, le BRICS risque de reproduire un monde unipolaire ou bipolaire, plutôt qu'un ordre multipolaire.

Pour le journaliste turc Celal Çetin, le BRICS « contribue à un ordre mondial multipolaire » tout en constituant un pôle concurrent aux divisions façon guerre froide. Il rappelle qu'un projet politique aussi intégratif que celui européen n'a pas réussi à établir une conscience collective commune - preuve de la difficulté de créer une cohésion politique entre nations historiquement diversifiées.

Un analyste britannique adopte un ton plus optimiste : le BRICS « favorise clairement l'émergence d'un ordre multipolaire plutôt que la reprise d'une bipolarité de style guerre froide ». Il insiste sur le fait que le bloc « ne possède pas l'unité idéologique nécessaire à la bipolarité » et ne possède pas le caractère conflictuel des rivalités d'autrefois.

L'influence croissante de la Chine et les tensions internes

Un facteur déterminant pour l'avenir du BRICS est la domination économique croissante de la Chine. Selon Çetin, l'économie chinoise est plus grande que l'ensemble des autres membres du bloc réunis, avec une production entre cinq et huit fois supérieure à celles de l'Inde, de la Russie ou du Brésil, et jusqu'à quatorze fois celle de l'Afrique du Sud.

Cette asymétrie représente un risque que l'expert iranien Amir Maghdoor Mashhood décrit comme celui d'un "BRICS véhicule de l'expansion économique et géopolitique chinoise", sapant sa promesse multilatérale. Plusieurs analystes mettent en garde contre une "dépendance à la Chine" qui pourrait renforcer une structure à deux vitesses : la Chine comme pivot, les autres comme dépendants.

L'expert russe Kortunov reconnaît ces tensions, tout en soutenant que la diversité du bloc prévient toute domination unique : « aucun membre ne peut imposer sa volonté ou son programme aux autres ». Pourtant, les réalités économiques suggèrent que cette égalité formelle ne reflète pas nécessairement les rapports d'influence réels.

Contradictions internes et défis d'expansion

Le BRICS se heurte à des contradictions internes importantes. L'analyste indien Gupta identifie « une hétérogénéité profonde et des agendas contradictoires », mêlant démocraties libérales (Inde, Brésil, Afrique du Sud) et régimes autoritaires (Chine, Russie). Il note que les actions russes en Ukraine ou l'affirmation chinoise en mer de Chine méridionale minent la confiance intra-bloc et rendent les positions unanimes sur la sécurité et le commerce difficiles à atteindre.

Le processus d'élargissement accroît la complexité. Selon l'analyste algérien Fess, l'inclusion contestée d'Égypte ou d'Argentine, économies très endettées ou à faible performance, interroge sur la crédibilité réformatrice du BRICS. Quant à l'expert pakistanais Khalid Mahmood, il observe que « les tensions entre l'Inde et le Pakistan limitent l'accession possible du Pakistan au BRICS à court terme ».

L'expert russe Toloraya appelle à marquer une pause : certaines approches des États membres sur l'élargissement convergent, mais l'absence de recul pourrait rendre les activités du BRICS chaotiques. Le défi consiste à concilier inclusion et efficacité institutionnelle.

Visions à long terme : convergence et divergence

Les perspectives d'avenir du BRICS révèlent à la fois des aspirations partagées et des visions divergentes. L'expert brésilienne Claudya Piazera imagine un BRICS actif dans l'architecture d'une transition verte globale, d'une croissance régénérative et d'une finance inclusive pour tous, plaçant le développement durable au cœur de l'agenda.

Les experts indiens font preuve d'un optimisme prudent : Khan souligne que l'avenir du BRICS dépend de sa capacité à livrer des résultats, pas seulement à proclamer des intentions. Gupta insiste quant à lui sur l'importance d'éviter que le bloc ne devienne une chambre d'écho de sommets sans retombées politiques tangibles.

Du côté des Émirats arabes unis, le Dr Alexander voit le BRICS comme une plateforme de multilatéralisme pragmatique, plutôt qu'une alliance anti-occidentale : focus sur le financement du développement, la coopération digitale, la diplomatie Sud-Sud, tout en évitant un comportement de bloc idéologique rigide.

Les analystes russes insistent sur le besoin d'institutions efficaces : Kortunov estime que le BRICS peut devenir l'un des mécanismes les plus efficaces à la disposition du Sud global pour se faire entendre dans les débats sur l'ordre mondial - à condition d'institutionnaliser davantage et de cibler des problèmes concrets.

Conclusions : attentes, réalités et trajectoires futures

L'analyse croisée des expertises révèle des choix fondamentaux pour le BRICS : identité, institutionnalisation, rôle global. Plusieurs tendances se dégagent des points de vue examinés :

Le BRICS représente une alternative crédible aux institutions dominées par l'Occident, offrant une plus grande autonomie aux pays en développement.

Le bloc prend de l'importance économique, ouvrant des voies pour diversifier le commerce et les financements.

Il fait face à des contradictions internes sérieuses, notamment la dominance chinoise et des systèmes politiques divergents, qui freinent son institutionnalisation.

Les experts issus des États membres mettent l'accent sur les opportunités : croissance, infrastructures, levier diplomatique. Les observateurs extérieurs adoptent un regard plus sceptique : compétition économique, limitations structurelles, blocages géopolitiques.

En pleine fragmentation mondiale, le consensus suggère que la pertinence du BRICS va croître : le retour de l'unilatéralisme de Trump, la montée du Sud global sur des enjeux climatiques et souveraineté, tout favorise sa légitimité. Mais cette pertinence n'est pas une garantie de succès, comme le souligne l'analyste algérien Fess, le bloc doit surmonter trois écueils majeurs : l'instrumentalisation, l'ambiguïté et les discours sans résultats.

La décennie à venir sera décisive : la présidence indienne, les choix d'équilibre avec l'Occident, les progrès vers des alternatives financières, le renforcement du NDB et de l'ARA, l'expansion maîtrisée et la réaction aux crises globales seront déterminants.

Selon l'expert des EAU, Kristian Alexander, le succès du BRICS dépendra de sa capacité à devenir une plateforme de multilatéralisme pragmatique, plutôt qu'une alliance anti-occidentale rigide. Claudya Piazera, du Brésil, conclut que, pour affirmer son leadership dans un futur multipolaire régénératif, le BRICS doit allier ambition géopolitique et réformes institutionnelles rigoureuses, garantissant transparence, responsabilité environnementale et fiabilité.

Si le BRICS veut gagner en crédibilité en Afrique, selon l'analyste kényane Jasleen Gill, « il doit investir dans la stabilité régionale : partage de renseignements sur les menaces transnationales, coopération maritime en temps réel, et développement de capacités en intelligence artificielle et en cybersécurité pour les agences locales de sécurité ».

La réaction menaçante de l'administration Trump face à l'expansion et à l'affirmation du BRICS, incluant l'augmentation des droits de douane contre ses membres et leurs pays partenaires, valide ironiquement l'importance croissante du bloc. Comme l'ont souligné les présidents brésilien et sud-africain, de telles menaces traduisent davantage une posture de désespoir qu'une démonstration de force, signalant que le BRICS est désormais devenu trop important pour être ignoré.

Reste à savoir si cette importance pourra se transformer en influence mondiale effective - la question déterminante de l'ordre mondial post-occidental qui émerge aujourd'hui.

Ricardo Martins - Docteur en sociologie, spécialiste des politiques européennes et internationales ainsi que de la géopolitique

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